Monday, February 17, 2014

1979 Dong Ding Oolong, une nuit d'hiver

(La fleur de prunus fleurit au plus froid de l'hiver. Avec le bambou et le pin, elle fait parti des plantes symboles du lettré chinois.)

Cultivar: Luanze (qingxin) Oolong
Origine: Dong Ding, Taiwan
Récolte: année 1979 (!)
Process: Oolong fortement torréfié dans sa jeunesse, puis oublié par le fermier. Il n'a donc pas été retorréfié récemment.
 
1. Vue

Les feuilles sèches se présentent sous un aspect inhabituel pour un Dong Ding actuel. Les feuilles ne sont pas roulées sur elles-même, mais ouvertes ou en demi-cercle. Cette ouverture progressive des feuilles est le résultat de 35 années de conservation. A l'époque, le roulage des feuilles se faisait encore souvent 'à la force du pied' et non d'une machine. Aussi, les feuilles étaient moins serrées et s'ouvraient plus facilement avec le temps.

Qu'observons-nous également?
La couleur est moins foncée que pour mes 2 Oolongs de niveau de torréfaction similaire (le 1999 de Nantou et Tie Guan Yin d'Anxi de 2008). L'aspect des feuilles n'est pas brillant, mais n'est pas terne ou poussiéreux non plus. C'est propre et sans moisissure. Quand on a ses feuilles en main, on remarque leur légerté. Leur forte torréfaction a fait évaporer toute humidité, et cela a permis une conservation si longue.

L'infusion est de couleur ambrée, brune, plus ou moins sombre selon le temps d'infusion. L'important est qu'elle n'est pas voilée, mais d'une bonne transparence et d'un bel éclat.

2. Les odeurs
A sec, je remarque que l'odeur est un peu effacée, en retrait. L'âge implique forcément une certaine perte de substance. Mais c'est aussi un processus d'affinage. Aussi, ces odeurs s'expriment avec pureté et élégance. J'y sens des arômes lourds comme de la réglisse et du bois ancien, mais de manière plus légère que pour le Nantou 1999! On trouve aussi des notes maltées, chocolatées et de la médecine chinoise dans un registre sombre et chaleureux.
3. Le goût
En infusion de compétition (3 gr, 6 minutes en porcelaine), je teste les défauts surtout gustatifs. Avec ces vieilles feuilles, le résultat est équilibré et agréable à boire, mais c'est dominé par une certaine acidité dans l'attaque. Le terme technique chinois de dégustation pour cela est le 'Wuyi souan', l'acidité dite de Wuyi. C'est un goût typique des vieux Oolongs torréfiés. Cette acidité n'est que passagère, heureusement, et se fond ensuite dans les notes moelleuses de l'infusion. Comme il s'agit d'un vieil Oolong, les goûts sont plus estompés et doux. Il ne s'agit donc pas d'une acidité de fruit cru et jeune, mais plutôt d'une acidité d'un vieux vinaigre doux.

En infusion gaiwan, il est possible d'harmoniser mieux le goût de cet Oolong en réduisant le temps d'infusion et la concentration des premières infusions. On remarquera alors mieux une certaine vivacité et fraicheur qui reste préservé dans ces feuilles. Le goût et l'arrière-goût ont une bonne présence. On est au-delà du thé, et on se rapproche des sensations d'un vieil alcool.

Ce poème chinois, 'Nuit d'hiver', imprimé sur mon Chabu (nouveauté!) est de circonstance. De la dynastie Sung, il fut écrit par Du Xiao Shan:
Ma traduction:
"Nuit d'hiver, un visiteur vient,
et le thé remplace le vin ;
Sur le brasier en bambou,
le breuvage bout
grâce à des charbons ardents.

Devant la fenêtre, ce spectacle
sous la lune
serait bien familier,
si ce n'est pour ces fleurs de prunier."
La vue d'un prunus en fleur dans son jardin, à travers la fenêtre, donne à l'auteur une inspiration poétique à la préparation et la dégustation de son thé lors d'une froide soirée hivernale! Il est intéressant aussi de lire que le thé pouvait remplacer le vin dès cette lointaine époque.
L'intérêt de ce thé est multiple. Il nous offre l'occasion de déguster des arômes fortement torréfiés, puis assagis par 35 années de conservation. En soi, ce thé est un bel exemple d'arômes sombres et purs. Mais il nous offre aussi une perspective sur la façon dont les Oolongs très torréfiés évoluent dans le temps, et quelles furent les carcactéristiques du terroir de Dong Ding lors de son âge d'or. Et c'est aussi un thé émouvant à déguster si l'on est aussi âgé que ces feuilles!
L'observation des feuilles ouvertes montre qu'une grande partie des feuilles est proche de la carbonisation et ne s'ouvrent pas entièrement. Cependant, on en voit aussi dont la couleur s'éclaircit et à la texture plus souple. La torréfaction fut donc très forte, mais certaines feuilles ont su résister et conserver leur fraicheur. Ce sont ces feuilles qui évoluent de la manière la plus intéressante dans le temps (si on les conserve bien). Leur présence est ce qui rend ce vieil Oolong de Dong Ding si intéressant.
Préparé dans mon ancienne théière Yixing en duanni d'entre-deux guerres, ce Dong Ding semble fondre sous la langue. Ses arômes s'affinent encore plus et tendent à devenir evanescents. Le thé est plus ressenti que senti. Il est doux et délicat, à l'image d'un prunier en fleur.

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